J’avais beau vouloir le cacher, mes yeux ne s’étaient détachés du hublot. Ils larmoyaient sans cesse et mes lentilles de contacts avaient été perdues en cours de route tandis que je m’émerveillais devant le paysage. Je n’avais pas le droit, normalement, mais, l’avion appartenant à ma famille, ils n’allaient tout de même pas se passer de quelques vitres et de lumière. J’avais pris mes précautions : peau cachée intégralement, yeux protégés d’une façon ou d’une autre, crème à portée de main, ou quoique ce soit dont j’aurais pu avoir besoin, et j’avais fait la découverte du ciel.
Mes yeux se perdaient sur les formes agréables des nuages. Le visage aplati contre l’hublot, j’observais plus méticuleusement chaque forme, l’évaluant par rapport à la liste mentale de ceux dont je connaissais le nom scientifique. Mais j’oubliai bien vite les mots pour me concentrer sur le plaisir que j’éprouvais envers ces morceaux de barbe à papa planant.
Je me lassai pourtant bien vite et je redemandais à ce que la lumière n’entre pas. Mes yeux habitués à la pénombre eurent pourtant du mal à s’y accommoder après cette heure à étudier et imaginer au grand jour.
Le jet finit par atterrir, sans encombre. Des domestiques se chargèrent de mes bagages, j’avais demandé à marcher.
Une ombrelle noire au-dessus de soi par un temps des plus nuageux n’était pas courante, mais je ne voulais pas prendre de risque et ma peau n’était pas adaptée à l’extérieur, malgré ce caprice contre mes principes.
J’arrivai plus ou moins essoufflée dans un hall. Marcher était plus fatigant qu’il n’y paraissait, surtout quand on en n’avait pas l’habitude.
Une dame clichée à l’air revêche se tenait derrière un comptoir, occupée à goûter son café. A sa hauteur, elle me dit clairement :
« Veillez décliner votre identité. »
Sans politesse aucune. Mes cordes vocales n’étant plus disponibles, un domestique se chargea de me présenter. Elle fouilla un instant dans ses papiers désordonnés, son chignon se défaisait. Je fis en sorte que mon regard se fasse plus désagréable encore que d’habitude, yeux plissés, lèvres pincées, froncement de sourcils désobligeant. Tout pour qu’elle comprenne que je n’allais pas l’attendre indéfiniment.
Elle sortit enfin un dossier à mon nom, le lut, avant de me tendre une clé que je lui pris du bout de mes doigts gantés. Les microbes des autres, surtout ceux débordés de travail, ne m’intéressaient guère. J’allais devoir changer de paire, aujourd’hui encore.
